Je marche sur une plage de galets entourée de vertes vallées. Le vent, fort et tempéré, fait danser mes cheveux et trembler mes vêtements. La brume n'a pas disparu, elle masque encore la mer. Seuls quelques ilots verts sont visibles à travers le voile matinal qui couvre l'eau froide et si belle. Je suis dans un corps qui n'est pas moi. J'ai la peau blanche, pâle, et de longs cheveux roux foncés, ondulés, presque noirs. J'ai une silhouette qui ne me ressemble pas, grande et fine, longiligne. Je porte des vêtements que je n'ai pas l'habitude de porter, des vêtements fins et larges. Mon regard est vague, perdu dans l'immensité qui s'ouvre à moi.
J'aperçois une barque. Je sais alors ce que je dois faire. Je me dirige vers elle à pas lents, car j'ai tout mon temps. Le soleil se lève et la brume diminue. Aussitôt monté dans le bateau, celui-ci se met à avancer, à se déplacer seul. Je profite de cette lente dérive pour me questionner sur ma vie. Je pense d'abord à mon enfance, à laquelle je ne trouve rien à redire. Au fil de la navigation, je repasse dans ma tête, année après année, le début de ma vie, puis vient le passage à l'adolescence. A ce moment là, de douloureux souvenirs me reviennent, souvenirs que j'avais depuis longtemps enfoui pour ne plus qu'ils m'affectent. Ils ne m'affectent plus désormais, car la personne que j'étais alors n'existe plus.
Le choc de la barque contre le sol d'un nouvel ilot vient m'arracher à ma réflexion. La traversée est terminée, alors je descends. Au bout de l'ilot, dans un coin un peu caché, j'aperçois quelqu'un. Je m'approche à pas lents. J'appréhende le moment où je serais en face de cet être. Je ressens une impression étrange au fur et à mesure que j'avance. Soudain, je repense aux moments difficiles de ma jeunesse. J'aurai du lutter. J'aurai du relever la tête et me battre, à la fois contre le monde hostile et contre moi-même. Au lieu de cela, je m'étais recroquevillé et refermé, ce qui n'est pas une protection très efficace.
J'arrive enfin devant l'être troublant qui, perdu dans la mer, semblait curieusement être à sa place.